Rochester, Minnesota.

La ville de Rochester est témoin d’un dialogue hors du commun.

1954. Doreen a pris le train dans sa grande ville. Elle a quitté Chicago « la criminelle » pour l’humble ville de Rochester. Son mari lui a prêté son porte-document en cuir pour y loger les cadeaux destinés à leur fils Tom, hospitalisé en orthopédie sur le campus Mayo; elle n’a pas l’habitude de voyager seule et se sent anxieuse.

Elle a revêtu son tailleur de laine gris et roulé soigneusement ses cheveux blonds. Les pieds croisés selon l’étiquette, sagement assise sur un fauteuil de velours, elle attend, en essayant de se rassurer, la fin du trajet qu’elle trouve fort long.

À l’arrivée, elle examine cette grande étendue de ciment gris, redoutant de s’y poser. Il lui faut pourtant parcourir cet interminable quai avec son sac à main et ses deux valises. Elle se décide, se dirige vers la gare, se hâte, mais un homme, qui la suivait de loin, accélère le pas, se rapproche, la bouscule, arrache la pochette qu’elle tenait sous son bras et s’enfuit, courant à toute allure. Elle a perdu ses papiers et son argent, mais le pire à ses yeux, c’est le contenu de sa mallette, répandu sur le sol. Malgré ses bas nylons, sa jupe étroite et ses talons hauts, elle met un genou par terre et tente de récupérer les précieux souvenirs.

Sur les entrefaites, le surveillant du train se manifeste; il s’agenouille. Perdant son calme légendaire, Doreen s’écrit d’une voix suraiguë.

« Que faites-vous? »

« M’am je veux vous aider à ramasser tout le bazar qui traîne par terre M’am ».

Il a la main sur la lettre (écrite en caractère cyrillique) du grand-père de Tom.
« N’y touchez pas! CHERCHEZ plutôt le coupable! »

« Mais M’am, ce n’est pas dans ma description de tâche! »

« Mais alors, QUI va chercher le voleur? » Sa voix est dure, hargneuse, elle est de plus en plus furieuse.

« La police M’am, si je l’appelle… »

« Qu’attendez-vous? » hurle-t-elle.

Elle ne décolère pas, ramasse rageusement les papiers et les objets épars, même ceux qui sont brisés et les remet à leur place dans la valise prêtée par son conjoint.

Plus tard, après les formalités, elle retrouve un certain calme. Elle a perdu ses illusions sur la sécurité des petites villes, mais surtout, elle s’inquiète : comment expliquer la lettre salie, les jouets brisés, le retard, à un petit garçon de quatre ans?