Semence de roman

Alie, avait toujours répondu à ce diminutif. Sa mère, d’origine française et férue d’histoire, l’avait appelée Aliénor en souvenir de la Duchesse d’Aquitaine, cette amazone des territoires, des cœurs et des couronnes.

Malgré les avatars de son nom, la brave québécoise, avait surmonté toutes les difficultés de son parcours de femme, de mère et d’enseignante. Sa ténacité et son optimisme naturel avaient triomphé des combats et des épreuves de la vie.

Le milieu scolaire avait néanmoins changé et les élèves aussi… Mais le temps de la délivrance approchait. Bientôt, elle pourrait réaliser un rêve  longtemps caressé. Il ne restait que deux ans avant le début de son périple.

Elle fouillait partout : les guides, les annuaires, les dépliants, les brochures, les sites internet. Elle avait de l’ambition ! Pas un petit voyage, le tour du monde !!! Que de décisions, de choix, de détails à planifier, sans compter les multiples conversions monétaires. Tout son temps libre y passait, toutes ses conversations gravitaient autour de cette ultime préoccupation.

Elle cumulait les dossiers, les étiquetait, les organisait méticuleusement. Ses talents de planificatrice se déployaient allègrement. Rien de la rebutait : les listes interminables, les libellés à caractère fin, les mises en garde, les visas, les vaccins, etc.

Elle vibrait à la pensée du grand départ. C’était pour bientôt, quelques semaines tout au plus. Elle allait enfin récolter les fruits de tout ce labeur. Elle trépignait d’impatience. Un jour, surexcitée, elle  trébucha et s’étala de tout son long, non sans avoir heurté plusieurs marches de ciment.

Bilan : multiples fractures des membres inférieurs.

Ses proches s’affolèrent. Que deviendrait-elle, immobilisée de longs mois, incapable de marcher ? Pouvait-elle survivre à la frustration ? Elle avait tout misé sur ce projet !  Les personnes de son entourage n’osaient même pas aborder le sujet avec elle.  Être enfin retraitée… pour rien!

Au sortir des torpeurs de l’anesthésie et de la valse des barbituriques, Alie retrouva ses esprits et pris en compte la désolante réalité. Hum…

Confrontée aux regards inquisiteurs de ses amies, elle leur sourit et déclara : «Eh bien, je vais m’inventer une nouvelle vie ».