Marcel s’ennuie. Depuis l’ultime départ d’Ernestine, il vient régulièrement dans ce petit café campagnard pour lire les journaux. Il aime « savoir ».
Ce matin-là, une inconnue fait son apparition dans son territoire. Clairement moderne, cheveux teints, vêtements mode : une citadine quoi! Elle s’installe avec sa tasse et sort un livre de son grand sac. Marcel en a vu suffisamment et se replonge dans la lecture des quotidiens.
Alie a remarqué la chemise à carreaux, les larges épaules, les lunettes et les cheveux gris. Un autre retraité, pense-t-elle. Elle soupire en pensant à sa propre retraite : un si mauvais début!
Elle lève les yeux de temps à autre, lui aussi. Leurs regards finissent par se croiser et Aliénor (de son véritable nom) lui sourit. Son goût de l’aventure ayant repris le dessus, elle l’invite à sa table : Marcel apporte son deuxième thé. Elle s’étonne :
« Vous buvez du thé vous aussi? »
« Depuis toujours. »
« Je ne pensais pas en trouver d’aussi bon dans ce coin. »
« Il y a beaucoup de bonnes choses dans les alentours… »
« Je suis arrivée hier. Finie la physiothérapie : je marche maintenant sans problème. J’aime beaucoup la petite auberge Les Muguets avec ses fleurs printanières. Je vais y demeurer quelques jours. »
Assailli d’émotions contradictoires, Marcel reste réservé, réticent même, alors qu’Alie raconte allègrement les derniers chapitres de sa vie : le travail, les amis, les projets et surtout, l’accident qui a brisé son rêve de faire le tour du monde. Le chagrin est refoulé, le ton reste léger et le sourire engageant.
C’en est trop pour Marcel. L’exubérance de cette femme le déstabilise. Malgré le charme indéniable de l’étrangère, il ne se sent pas prêt à faire l’effort.
« Madame, excusez-moi, je dois vous quitter. À demain, peut-être… »
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Pour mieux connaître Marcel, voir Marcel et ses problèmes publié en avril 2013
Alie a été présentée dans Semence de roman en novembre 2011
Ah! C’est le tour que tu nous réservais? De faire se rencontrer Marcel et Alie? Il me semble me souvenir avoir lu une suggestion à ce sujet dans un commentaire d’un de tes lecteurs ou d’une de tes lectrices. Eh bien, c’est intéressant; tu as trouvé une bonne façon, tout s’agence bien. J’espère que l’histoire continuera.
Tu as raison, j’ai parlé de cette rencontre dans le cadre d’une réponse à un commentaire sur le premier texte qui parle de Marcel. Mon idée est toute récente, pas longuement préméditée, mais très fertile en rebondissements. Un de mes fils m’a félicité d’avoir enfin accédé à la création (pure ! j’imagine).
Je songe à faire des textes un peu plus longs (pas beaucoup plus) centrés sur la fiction et publiés probablement ailleurs que sur ce blogue que j’ai nourri de textes très courts. Je suis en pleine réflexion, je devrais plutôt dire en pleine ébullition. WordPress accueille des textes longs ( du moins plus longs…). À suivre.
J’ai beaucoup aimé l’impression de spontanéité de cette écriture, la brève description des situations qui suscitent l’intérêt pour la suite à venir, j’espère. Bravo!
Merci. Oui, il y aura des suites.
Quand à la brièveté, cela me vient naturellement, peut-être aussi par habitude. J’ai commencé il y a deux ans. On m’avait prévenue: » reste brève si tu veux qu’on te lise! »
Texte sorti tout droit de ton imagination et très réussi. Le rythme est bon et on a hâte d’en savoir plus sur ce mystérieux Marcel et sa relation avec Aliénor.. Je vais retrouver le ou les textes précédents où tu le mets en scène.
J’ai parlé de Marcel pour la première fois dans le texte « Marcel et ses problèmes ». C’est un personnage tout à fait fictif. Je sais peu de choses de lui et surtout pas ce qui va lui arriver, c’est ce qui rend l’écriture stimulante…
Beau cheminement dans le monde de la fiction. Du suspense;« mauvais début» de retraite dit Ali et on de demande pourquoi; plus loin, elle ajoute «fini la physio» et enfin la réponse: «un terrible accident». Les personnages prennent de la chair. Tu ne devrais pas craindre cependant d’en mettre davantage; la fiction ne fait pas toujours bon ménage avec la brièveté. En tout cas, moi j’aimerais en savoir davantag sur ce qu’ils vivent à l’intérieur.